
Ça y est ! Un grand événement est arrivé dans votre vie et celle de votre enfant : il vient de faire ses premiers pas.
Mais au fait, comment et pourquoi l'être humain est-il parvenu à se tenir debout et à marcher ?
Dans une interview d'Aurore Braconnier pour le magazine Sport & Vie (hors série n° 37), Brigitte Sénut, paléontologue et professeur au Muséum National d 'Histoire naturelle répond à ces questions, en affirmant tout d'abord : «Lorsqu 'on évoque l'acquisition de bipédie, on imagine encore trop souvent qu'elle résulte de l'initiative d'une sorte de chimpanzé primitif qui se serait redressé sur ses pattes arrière pour voir par-dessus les hautes herbes de la savane. Il est temps de revisiter ce scénario ! »
Pas de chaînon manquant.
D'après la paléontologue, l'idée d'un chaînon manquant symbolisant le passage entre le singe et l'homme est plus que révolue : elle est absurde !
Pour valider cette théorie de la "chaîne brisée", il faudrait en connaître les deux tenants. Or, en réalité, on ne sait pas du tout à quoi ressemblaient réellement nos très lointains aïeux. En effet, si on commençait à admettre au XIXème siècle que “l’homme descend du singe”, on précise actuellement que cette filiation s’exerce avec un ancêtre commun dont on ignore presque tout encore maintenant.
Brigitte Sénut précise toutefois : « Pour moi, évidemment le fil conducteur de l'évolution reste la locomotion bipède. C'est elle qui engendre une modification à la fois de la colonne vertébrale, du bassin, du pied et du genou. Elle nous a
aussi libéré le haut du corps qui a pu servir à d'autres tâches.» Cette modification est apparue très tôt dans l'histoire de notre lignée.
Animaux bipèdes versus Homme bipède.
En ce qui concerne les animaux bipèdes connus, la bipédie est différente : par exemple, comme les tyrannosaures, les kangourous se servent de leur queue pour se stabiliser. Les oiseaux ont la particularité de marcher le buste en avant. Quant aux primates, ils ne pratiquent la bipédie que sur un temps court et une distance limitée.
La paléontologue explique : « Au final, seul l'homme est capable de marcher sur de longues distances et sur une longue durée. Afin de ne pas créer d'ambiguïté, je préfère parler de " bipédie de type humain ", une bipédie dynamique qui englobe un ensemble de caractères squelettiques et musculaires. »
La locomotion bipède eut pour effet de libérer le haut du corps.
On a toujours pensé que Lucy, australopithèque qui vivait il y a 3,2 millions d'années, était la première représentante d'une des espèces bipèdes. Or, on compare à tort son anatomie avec celle des chimpanzés et gorilles actuels. Ces primates ont survécu jusqu'à notre époque alors que durant le Miocène, période s'étendant entre -20 et -10 millions d'années, il existait prés de 250 espèces de grands singes sur la planète, la plupart ayant disparu. Toutefois, avant de disparaître, ces espèces ont probablement développé diverses formes d'adaptation locomotrice en fonction de leur anatomie et de leur environnement.
Évaluation du mode de locomotion du singe.
Pour déterminer le mode de locomotion d'un singe, ses caractères anatomiques sont primordiaux : ils aident à définir un type de mouvement. Le type de locomotion est alors défini en partie par l'addition de l'ensemble de ces mouvements. Puis on reconstitue le contexte environnemental. Il faut pour cela faire preuve d'imagination : les situations ont disparu et les modèles de bipédie élaborés peuvent aussi ne plus exister.
Découverte majeure de ces dernières années.
Lucy grimpait aux arbres ! On pensait initialement, en se fondant sur les os de ses membres supérieurs très semblables à ceux de l'homme moderne, qu'elle était uniquement " terrienne ". Puis on a remarqué que ses régions articulaires étaient similaires à celles des grands singes actuels. Les australopithèques étaient certainement bipèdes mais pas complètement affranchis du grimper arboricole.
En 2000, au Kenya, les restes d'un hominidé ancien de 6 millions d'années, nommé "Orrorin" (" l'homme originel"dans le langage Tugen) ont été retrouvés. Ces restes incomplets permettent toutefois de confirmer qu' Orrorin était bipède. En même temps, son humérus et sa phalange courbe et allongée prouvent qu'il vivait dans les arbres.
La bipédie est née dans les arbres.
Lorsque l'environnement s'est asséché et que les arbres se sont raréfiés, les grands singes ont dû chercher leur nourriture plus loin. Pas de problème pour les plus légers : ils pouvaient sauter d'arbre en arbre. Les plus lourds ont dû, au contraire, rester au sol. Ils pouvaient alors évoluer à quatre pattes ou sur leurs deux pattes postérieures. Leur tronc étant déjà redressé du fait du grimper arboricole, ils ont opté pour la bipédie : il aurait fallu autrement passer, pour la locomotion, d'une colonne vertébrale verticale à une colonne horizontale pour revenir à la verticale… La bipédie est donc certainement née de ce lien entre l'arbre et le sol.
Arguments complémentaires.
Trois arguments confirment cette hypothèse:
- Orrorin vivait dans un environnement plutôt arboré, non dans la savane sèche;
- la morphologie de l'épaule humaine actuelle, très mobile, permettant des mouvements dans toutes les directions, prouve le passé arboricole;
- marche et grimper arboricole mobilise les mêmes muscles, soit ceux des hanches, du bas du dos et des cuisses.
Pas d'ambition sportive initiale.
L'auto-transformation par la culture physique n'était pas la préoccupation de nos ancêtres. Encore actuellement les motivations des sportifs sont multiples. Ainsi, Brigitte Sébut confie marcher deux à 3 km par jour, simplement pour évacuer le stress et acquérir une certaine qualité de vie. L'impression d'être seule avec la nature est son challenge. C'était probablement aussi celui de nos aînés.
Source : Sport & Vie Hors-série n°37 Dominique
Comments